Colloque final de valorisation : « technologies numériques dans la santé, l’autonomie et l’accès aux droits : des promesses en débat » (Compte-rendu)

Ce colloque visait à valoriser le résultat du travail mené par les équipes de recherche et ainsi rendre compte des transformations variées suscitées par les technologies numériques dans les champs de la santé, de l’autonomie (handicap et vieillissement) et de l’accès aux droits. Le choix de structurer le colloque sous le format table ronde résulte d’une part d’un travail d’analyse des enseignements transverses qui ont émergé des différentes recherches. Et d’autre part de la volonté de croiser les analyses produites par les chercheurs issus de disciplines différentes (sociologie, économie, droit, sciences de gestion, etc.) et ayant travaillé sur des objets variés.

Introduction : mettre les promesses du numérique en débat

Dans l’introduction au colloque, Valentin Berthou (adjoint au chef de la MiRe) propose de porter un regard critique et distancié sur les technologies numériques qui sont très souvent maillées de « promesses » (meilleure efficacité, de rationalisation des couts, d’inclusion des publics, de soutien à l’autonomie, etc.). Il revient également sur la nécessité de traiter sur un même plan les trois champs du programme (santé, autonomie et accès aux droits) afin d’éviter de segmenter les enseignements et de comprendre l’imbrication des multiples niveaux de transformation induits par les technologies. L’introduction est l’occasion d’un cadrage sur la notion de « technologie numérique » et sur les types de technologies étudiées par les différentes équipes de recherche (casques de réalité virtuelle, Dossier Médical Partagé, numérisation de ressources, tablettes de coordination, outils d’IA en santé, etc.).
 

Un cadrage statistique sur les usages du numérique pour mesurer l’ampleur de l’illectronisme

Sur la base de deux enquêtes statistiques (Baromètre de la Drees 2023 et enquête TIC de l’INSEE 2021) , Louise Viard-Guillot et Nicolas Paliod (DREES) proposent un éclairage quantitatif sur les usages des technologies numériques en lien avec le service public et leurs représentations. Une part importante de la population est actuellement en difficulté avec le numérique faisant de ce type d’obstacle un facteur de non-recours aux prestations sociales. L’illectronisme s’ajoute aux difficultés préexistantes de réalisation des démarches administratives et, parfois, se rencontrent au sein des mêmes populations et cumulent leurs effets. Comme attendu les personnes plus âgées sont particulièrement concernées, mais la familiarité des jeunes avec certains outils numériques ne résout pas leurs difficultés de compréhension du système de protection sociale ou des catégories administratives sur lesquelles celui-ci repose.
 

Rendre compte des transformations de l’action publique et de la dynamique des outils numériques

Cette table ronde discute le développement du numérique dans l’action publique en le contextualisant et en s’interrogeant sur les dynamiques induites. Ainsi, les chercheurs décrivent la manière avec laquelle les outils et les plateformes ont été pensés, dans quel contexte et selon quelles modalités. En substance, ils analysent les conséquences de la « digitalisation » des services publics sur les modes d’interventions et les pratiques professionnelles tout en observant les effets sur les usagers, qu’ils soient demandeurs de droits ou patients. Cette table ronde permet d’analyser des transformations profondes des modalités d’intervention, de la conduite de l’action publique et même de la représentation des droits sociaux du côté des citoyens.
 

Analyser les effets du numérique sur les quotidiens professionnels et sur les organisations

Cette table ronde examine les effets du numérique sur le quotidien des professionnels, leurs pratiques et sur les organisations. Les chercheurs montrent que ces outils transforment le périmètre des organisations et les métiers qui les composent. L’appropriation s’avère différenciée entre les types de technologies qui peuvent s’imposer aux acteurs et créer des effets délétères comme du surtravail, de la perte de sens dans l’activité ou de la destruction des collectifs professionnels, notamment dans le domaine du soin à domicile et du secteur médico-social. Il en résulte un phénomène de non-usages des outils et de résistance au changement. Par ailleurs, les chercheurs montrent que les outils ne créent pas de coordination si celle-ci n’existe pas préalablement dans les organisations de travail en amont de l’introduction d’une technologie. Loin d’être invisibles et transparents, les outils numériques contribuent à (re)modeler de nombreux aspects des pratiques professionnelles et des représentations associées. Dans plusieurs cas en revanche, ils deviennent des outils d’aide à la décision et au diagnostic en particulier pour certains professionnels de santé. 
 

Questionner les enjeux éthiques du numérique et les nouvelles relations de soin

Les enjeux éthiques peuvent être abordés en fonction des étapes de développement et de mise en usage d’un dispositif : de sa conception initiale à son évaluation en passant par sa mise en place dans le cadre de son expérimentation. De nombreux questionnements interviennent dans cette table ronde en complément soit à un niveau général relatif à la gestion et la protection des données personnelles (collecte, stockage, usage), soit à un niveau opérationnel relatif à la dimension relationnelle de l’acte professionnel. Les chercheurs montrent que les questionnements éthiques sont nombreux dans le domaine des technologies numériques et bordent les expérimentations, sans toutefois établir des cadres parfaitement structurants. Le numérique introduit également de nouvelles relations de soin soit via des objets technologiques qui multiplient les possibilités et diversifient les rapports de soin, soit en faisant intervenir de nouveaux acteurs, notamment privés dans l’écosystème médical. Cette table ronde permet enfin d’apporter des éléments d’analyse sur l’étendue des transformations et les mécanismes divers qui se jouent en particulier dans la relation de soin.
 

Autonomie et responsabilisation, inégalités et inclusion, quel bilan ? Quelles perspectives ?

Cette table ronde s’est centrée sur la question des inégalités sociales liées à la conception et à la mise en œuvre des technologies numériques. Placées, de manière générale, au service de la modernisation de l’action publique et de son efficience, leur contribution à la réduction des inégalités parait plus ténue ou plus ambivalente. Si certaines observations montrent des processus d’empowerment à l’œuvre pour certains usagers, d’autres analyses soulignent des enjeux plus généraux sur les droits sociaux ou la transformation des valeurs que portent les principes de démocratie, d’autonomie et de responsabilisation associés aux outils numériques. Cette table ronde permet de montrer à quel point les ressources en littéracie numérique sont insuffisantes, car mettant une partie des individus en situation d’illectronisme, et qu’elles devraient être renforcées chez les citoyens et bien mieux valorisées pour les professionnels de l’accompagnement. Les chercheurs montrent également un phénomène de cumul des inégalités (sociales de santé). Une partie des solutions se trouverait dans l’amélioration des interfaces et de l’ergonomie des dispositifs numériques et portails informationnels ainsi que dans un meilleur accompagnement pour développer les compétences et ressources numériques des individus.
 

Conclusion du colloque : faire le bilan des promesses pour mieux guider l’action publique

Fabrice Lenglart (directeur de la Drees) établit un bilan des discussions de la journée et des perspectives que cela entraine. Les transformations des politiques publiques et de l’action collective par le numérique sont importantes, mais les promesses du numérique ne sont pas universelles. Ainsi, une fracture numérique persiste, tout en se renouvelant. Les enjeux d’inclusion et les inégalités numériques sont donc – ou devraient – être beaucoup plus au cœur de la conception des technologies et guider les concepteurs de technologies notamment pour éviter des phénomènes massifs d’illectronisme ou de non-recours. Dès lors plusieurs recommandations peuvent être édictées : mettre en place des mécanismes de régulation et d’évaluation ; penser l’inclusion numérique comme un levier de justice sociale ; repenser les indicateurs de performance et de succès ; renforcer les recherches dans le numérique et sur les usages.