Nicolas Duvoux Enseignant-chercheur Université Paris 8, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE) |
Comment avez-vous connu la DREES ?
J’ai connu la DREES en tant que producteur de données quand j’étais étudiant, puis jeune chercheur. J’ai tout de suite perçu qu’elle constituait une source indispensable de réflexion et d’appui scientifique sur les sujets qui m’intéressaient : les politiques sociales, celles d’insertion et du handicap, notamment au titre du cadrage quantitatif d’analyses plus qualitatives.
Je l’ai ensuite redécouverte, en tant qu’administration, lorsque je siégeais au conseil scientifique de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. J’ai également développé des travaux de recherche avec la DREES (notamment avec Adrien Papuchon), à partir de son Baromètre, qui suit l’évolution de l’opinion des Français à l’égard des inégalités sociales notamment. L’analyse du sentiment de pauvreté a véritablement permis de croiser les perspectives académiques avec le travail de mesure qui était fait par la DREES.
À partir de 2021, dans le cadre de mes fonctions de président du comité scientifique puis de président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), la DREES constitue un partenaire essentiel. La DREES et l’Insee sont deux producteurs d’informations robustes incontournables sur le champ de la pauvreté et de l’exclusion. L’Insee pour la mesure de la pauvreté et des inégalités, la DREES pour le suivi des effectifs des prestations sociales et l’opinion des Français sur ces sujets, avec son Baromètre. Ce sont des travaux que nous mobilisons quotidiennement dans les différents travaux menés par le CNLE.
Quel est l’intérêt des travaux de la statistique par rapport à d’autres sources que vous mobilisez ?
Les données produites par la statistique publique proposent, dans un cadre institutionnel, des mesures extrêmement fines de la réalité sociale, à travers des enquêtes de grande portée, avec des garanties de représentativité, d’objectivité, de rigueur… Elles représentent un potentiel de renouvellement scientifique important et relativement sous-exploité.
Il y a par ailleurs un vrai dynamisme, une émulation entre les acteurs qui contribuent à la production de ces données, avec des moments de cristallisation comme la crise sanitaire.
Au-delà des indicateurs habituels utilisés pour mesurer la pauvreté, le Baromètre de la DREES et vos travaux s’intéressent au sentiment de pauvreté (pauvreté perçue). En quoi cet indicateur apporte-t-il un éclairage important ?
Il permet d’affiner la mesure des phénomènes sociaux, de dépasser une vision des perceptions qui les renverraient à leur superficialité, voire à leur irrationnalité, pour montrer que les variables subjectives peuvent constituer des révélateurs des inégalités de classe sociale. Le Baromètre de la DREES montre ainsi que l’exposition au sentiment de pauvreté est beaucoup plus fort au sein des classes populaires. Pour faire des sciences sociales, il faut le point de vue objectif, la mesure extérieure de la pauvreté, mais il faut également intégrer le point de vue de l’agent. Le subjectif permet alors – paradoxalement – d’accéder au plus objectif. À propos du sentiment de pauvreté, en ressort l’importance des projections dans l’avenir du point de vue de la hiérarchisation des positions sociales : « Dis-moi comment tu perçois ton avenir et je te dirai à quelle place tu te situes dans la hiérarchie sociale ». C’est un indicateur qui fait ressortir la différence de classe très fortement. Mon ouvrage s’inscrit dans le prolongement de ces travaux sur le Baromètre, pour asseoir la légitimité scientifique d’une approche de la position sociale à travers des variables subjectives. Cela permet de raffiner la mesure monétaire de la pauvreté. Elle ne s’y oppose pas, elle permet d’aller plus loin. L’enjeu est maintenant de saisir la pluralité et l’imbrication des inégalités à partir de la même source et avec des méthodes proches. Avec Célia Bouchet, nous travaillons, par exemple, toujours à partir des données du Baromètre, à élaborer une réflexion plus large sur les différents types d’inégalités sociales (genre, classe, niveau de vie, handicap) et leur imbrication.
Nicolas Duvoux. L’avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine. Paris, PUF, 2023
Cette interview est issue du rapport d’activité de la DREES En 2023, la DREES a fêté ses 25 ans ! 25 ans de production statistique marqués par plus de 2 000 études et 60 ouvrages sur la santé et les solidarités afin de répondre au besoin croissant d’éclairage objectif sur ces sujets. Le rapport d’activité présente un condensé des travaux parus en 2023 avec un focus particulier sur les professionnels de la santé, du social et du médico-social. |
Découvrir le témoignage de Sébastien Delescluse, Directeur général adjoint de l’Agence régionale de santé (ARS) Normandie, dans le rapport d’activité 2022.