Résumé
Depuis une vingtaine d’années, la référence de plus en plus fréquente aux « déserts médicaux » dans les médias et le débat public traduit la préoccupation croissante de la population concernant l’accessibilité géographique aux soins de médecins. Dans les prochaines années, alors que le vieillissement de la population entraînera une augmentation des besoins de soins, les projections laissent augurer une diminution de l’offre médicale en médecine de ville, surtout en soins primaires. Ces tendances risquent de dégrader encore l’accessibilité dans les zones les moins attractives. La situation de la France n’est pas unique. La répartition géographique des effectifs médicaux est inégale dans tous les pays, à des degrés divers. Partout, l’accès aux services de santé est plus difficile à assurer dans certains territoires, tels que les zones rurales, éloignées ou isolées, ou les zones urbaines défavorisées.
Un certain nombre d’enseignements peuvent cependant être dégagés des expériences d’autres pays, même si elles s’inscrivent dans des contextes spécifiques différents du nôtre. L’objectif de ce Dossier de la DREES est, à partir d’une analyse de la littérature internationale, de décrire les politiques visant à remédier à ces difficultés, de rassembler les éléments d’évaluation de leurs impacts et de dégager quelques réflexions pour alimenter le débat sur la situation française
L’analyse de l’expérience internationale permet de dégager quatre grands registres d’intervention pour attirer et garder des médecins dans les zones mal pourvues :
- les incitations financières,
- la formation initiale,
- la régulation (contraintes sur le choix de localisation),
- le soutien professionnel et personnel.
Les incitations financières, souvent mises en œuvre, ont plutôt des résultats décevants. Ces incitations ont été souvent les premières mesures mises en œuvre pour corriger les déséquilibres géographiques. S’il n’y a pas d’évaluations précises, l’expérience commune d’un certain nombre de pays ou provinces qui ont initié très tôt des politiques reposant sur des incitations financières est que celles-ci n’ont pas eu les résultats escomptés.
Selon des études sur les préférences des médecins, les aspects financiers sont moins importants que d’autres aspects du métier de médecin comme le lieu d’exercice. Influer sur leurs choix par le biais d’incitations financières nécessiterait des augmentations de revenu très élevées pour compenser des conditions d’exercice considérées comme désavantageuses (nombre d’heures élevé, permanences nombreuses, localisation dans une zone peu dense…). Les politiques visant l’amélioration de la répartition territoriale ne peuvent donc pas se fonder sur le seul levier des incitations financières mais doivent agir sur l’ensemble des conditions d’exercice des médecins.
La formation initiale est un levier puissant mais à long terme. Le raisonnement est simple : en formant de plus en plus de médecins, les zones urbaines favorisées finiront par être saturées. Ils iront combler les besoins non couverts dans les zones mal desservies. Ce raisonnement est néanmoins contredit par la réalité des évolutions constatées. En revanche, les résultats convergents des études sur l’influence de l’origine des médecins sur les choix d’installation ainsi que le succès de plusieurs expériences, menées notamment aux États-Unis, ont conduit plusieurs pays à augmenter la part d’étudiants en médecine qui sont issus de communautés défavorisées en termes d’accès aux soins.
Pour atteindre cet objectif, une démarche de décentralisation des lieux de formation a été mise en œuvre, complétée par des démarches proactives vis-à-vis des élèves du secondaire et des processus de sélection adaptés pour donner la priorité, à performance égale, aux étudiants issus de zones moins favorisées ou qui souhaitent y exercer. Cette stratégie de sélection est combinée avec des programmes et des modalités de formation qui mettent l’accent sur les situations d’exercice propres à la médecine rurale.
La régulation de l’installation permet une distribution plus équilibrée mais n’évite pas les pénuries locales. Un certain nombre de pays recourent à une forme de régulation de ce type, selon des modalités variables que l’on peut classer en deux grandes catégories :
- Un passage obligé d’exercice dans des zones déficitaires fléchées, pendant une durée déterminée, pour certaines catégories de médecins ;
- Une restriction plus globale de la liberté d’installation, les médecins exerçant leur choix dans le cadre d’un nombre limitatif de places (ou de postes, ou de contrats) défini par zone géographique.
Les exemples internationaux vont globalement, dans le sens d’un impact positif d’une politique de régulation des installations sur l’équité de la distribution géographique, celle-ci étant appréciée à un niveau assez agrégé, le niveau régional en général. S’agissant de savoir si, en tout point du territoire (à un niveau infrarégional), l’accès au médecin est assuré de façon satisfaisante, et si la régulation des installations permet d’éviter les pénuries localisées dans les zones peu attractives, la réponse est moins affirmative.
Des mesures de soutien aux professionnels comme l’organisation et le financement de remplacements, les facilités pour la formation, etc. ont également été déployées, mais peu de ces mesures sont évaluées.
En France, de nombreuses incitations sont déjà mises en œuvre, mais quelques améliorations sont suggérées par l’analyse de la littérature internationale.
- L’origine territoriale et sociale des étudiants en médecine pourrait être plus diversifiée pour équilibrer à terme leur répartition sur les territoires. Quelques démarches ponctuelles de délocalisation de lieux de formation ont été mises en œuvre. Toutefois, elles peuvent entrer en contradiction avec les orientations nationales qui poussent fortement les établissements d’enseignement et de recherche, au contraire, à se rapprocher et à concentrer leurs moyens. En amont de l’entrée en formation médicale, des démarches plus proactives pourraient également être développées en direction des élèves du secondaire, à l’instar des initiatives prises par quelques collectivités territoriales.
- L’effort pour proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes pourrait être accru. La politique de promotion des structures d’exercice collectif mise en place en France depuis une dizaine d’années est un pilier majeur de la stratégie d’attractivité des territoires. L’expérience montre cependant que, s’il est facile de rejoindre une équipe déjà existante, la création d’une structure reste compliquée. L’accompagnement des professionnels sur le terrain, par des mesures de soutien visant à améliorer leur cadre de vie et de travail, pourrait certainement être encore développé. Il serait sans doute utile, de ce point de vue, d’analyser de manière plus approfondie le contenu et les modalités de mise en œuvre des démarches décrites dans la littérature internationale, mais aussi des nombreuses initiatives mises en œuvre localement en France.
Globalement, l’expérience internationale montre l’efficacité limitée de mesures isolées, et l’on constate dans plusieurs pays une évolution vers des stratégies plus globales, combinant différents leviers.