Trente ans de réformes abaissant l’âge de départ à la retraite à taux plein : quelles conséquences sur les inégalités de durée de retraite?

Les dossiers de la DREES

N° 125

Paru le 26/11/2024

Patrick Aubert (IPP)
La Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES), en partenariat avec l’Institut des Politiques Publiques (IPP) publie un Dossier de la DREES qui mesure les écarts d’espérance de vie selon l’âge de début de carrière et selon l’âge d’atteinte du taux plein de retraite compte tenu de la réglementation issue des réformes. Dit autrement, cette étude cherche à apprécier l’impact de 40 ans de réformes, des années 1970 jusqu’aux années 2000, sur la réduction des inégalités de durée de vie passée à la retraite.


Les résultats présentés dans ce dossier sont établis pour les générations nées en 1950 ou avant, c’est-à-dire les dernières générations ayant bénéficié de la « retraite à 60 ans », sur la base de leur mortalité observée entre 2012 et 2021. Ils sont issus de l’échantillon interrégimes de retraités (EIR) constitué par la DREES. À noter que dans cette étude est retenu un indicateur « d’âge d’atteinte du taux plein », plus pertinent que l’âge d’effectif de départ à la retraite pour apprécier l’effet des barèmes de retraite. Celui-ci se calcule comme l’âge effectif de départ augmenté de la durée éventuelle de décote et diminué de la durée éventuelle de surcote.

La retraite à taux plein dès 60 ans concerne un peu plus de 60 % des individus nés à partir des générations nées dans les années 1930 et jusqu’à 1950

Partir à la retraite au taux plein dès 60 ans était possible dès l’origine du système de retraite en 1945, mais cela restait relativement rare. Les diverses réformes des années 1970 et 1980 ont permis d’augmenter substantiellement la proportion d’assurés en bénéficiant – sans pour autant permettre que tous les assurés puissent en bénéficier. Cette proportion passe d’environ 20 % pour la génération née en 1906 à un peu plus de 60 % parmi les générations nées à partir des années 1930 et jusqu’à 1950.

Quasiment quelle que soit la génération considérée, les hommes bénéficient plus souvent que les femmes du taux plein de retraite dès 60 ans (graphique 1). Parmi les générations les plus anciennes, l’écart est lié au fait qu’ils sont plus fréquemment retraités d’un régime spécial ou de la fonction publique ; parmi les générations plus récentes, ils bénéficient davantage de la possibilité de partir au taux plein au titre d’une carrière complète. La possibilité de partir à la retraite au taux plein dès 60 ans bénéficie par ailleurs davantage aux retraités dont le montant de pension se situe dans la moitié la plus élevée qu’aux retraités à plus faibles pensions.

Les personnes ayant commencé à cotiser à des âges très jeunes ont une espérance de vie plus faible

Les assurés devenus invalides ou reconnus inaptes ont une espérance de vie nettement plus faible que la moyenne de leur génération. Parmi les autres, les personnes ayant commencé à cotiser pour leur retraite avant 16 ans ont une espérance de vie inférieure à la moyenne (graphique 2). À l’inverse, celles ayant cotisé leur premier trimestre de retraite après cet âge ont une espérance de vie plus élevée que la moyenne. L’espérance de vie à 60 ans croît de façon quasiment linéaire en fonction de l’âge de début de carrière jusqu’à 18 ans pour les femmes et jusqu’à 20 ans pour les hommes, puis reste à peu près constante après ces âges. Elle est cependant un peu plus faible, par rapport aux personnes du même sexe1 , pour les assurés qui ont cotisé leur premier trimestre de retraite après 25 ans : cette catégorie rassemble des personnes ayant eu de fortes difficultés d’insertion sur le marché du travail et des personnes immigrées, arrivées en France plus âgées.

L’espérance de vie en retraite décroît selon l’âge d’atteinte du taux plein

Si les personnes qui ont commencé à travailler le plus jeune ont effectivement une espérance de vie un peu plus basse, les barèmes qui déterminent l’âge de départ à la retraite à taux plein, mis en place au fil des réformes passées, ne permettent pas de corriger ces inégalités. Plus exactement, ils tendent à les surcorriger en sens contraire. L’espérance de vie au moment de l’atteinte du taux plein, pour les assurés non-inaptes, décroît ainsi continûment en fonction de l’âge auquel le système de retraite permet à ces assurés de partir au taux plein, tout en restant toujours plus élevée que celles des assurés reconnus inaptes (graphique 3). Pour les femmes, cette durée atteint 32,6 ans pour celles qui partent au taux plein à 56 ans, 29,5 ans pour celles qui ont le taux plein à 60 ans (sans être inaptes), 24,8 ans pour celles qui ne l’ont qu’à 65 ans et 24,4 ans pour celles qui sont inaptes ou ex-invalides. Cette espérance de vie en retraite reste décroissante selon l’âge d’atteinte du taux plein lorsqu’on la rapporte à la durée de carrière, ou bien lorsqu’on considère uniquement l’espérance de vie passée sans perte d’autonomie.

  • 1Les écarts calculés sur l’ensemble femmes et hommes confondus ne se situent pas à des niveaux intermédiaires entre les écarts calculés au sein de chaque sexe pris séparément, car les proportions d’hommes et de femmes varient significativement selon l’âge de début de carrière.

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