Ce Dossier mobilise les données issues de l’enquête Budget de famille réalisée par l’Insee en 2017. Cette enquête, réalisée tous les cinq ans environ depuis 1979, fournit à la fois des informations très détaillées sur les dépenses des ménages, mais aussi sur les opinions des ménages sur leur situation financière.
Le calcul du niveau de vie devrait-il être actualisé pour mieux tenir compte des spécificités des familles contemporaines ?
Le niveau de vie vise à appréhender le bien-être matériel que tirent les individus de leur revenu. Il est calculé en rapportant le revenu du ménage au nombre d’unités de consommation (UC) de ce ménage, plutôt qu’au nombre de personnes qui le composent. Ce mode de calcul permet de tenir compte des économies d’échelles réalisées en vivant avec une ou plusieurs autres personnes. La vie en commun permet de mutualiser certaines dépenses, en premier lieu celles relatives au logement. L’échelle d’équivalence dite de « l’OCDE modifiée » est l’échelle de référence utilisée en France comme dans l’ensemble des pays européens pour l’estimation des niveaux de vie et de la pauvreté. Elle consiste à compter 1 UC pour le premier adulte du ménage, 0,5 UC pour les autres personnes du ménage âgées de 14 ans ou plus et 0,3 UC pour les enfants âgés de moins de 14 ans.
L’objectif de ce dossier est de questionner l’actualité de certaines hypothèses retenues dans le calcul de cette échelle d’équivalence. Dans un contexte où la structure de la consommation a évolué, le seuil de l’âge de 14 ans à partir duquel l’échelle d’équivalence de l’OCDE modifiée considère qu’un enfant « coûte » autant qu’un adulte est-il encore pertinent ? De même, dans un contexte d’augmentation des séparations conjugales et de recompositions familiales, est-il possible de mieux prendre en compte la complexité des configurations familiales dans les échelles d’équivalence ?
Il est difficile de déceler un seuil d’âge à partir duquel un enfant entraînerait plus de dépenses ou diminuerait davantage le sentiment d’aisance financière des familles
La comparaison des dépenses réalisées à niveau de revenu et configuration familiale donnés confirme que le logement est la dépense qui se prête le plus aux économies d’échelle, surtout quand le ménage passe d’un à deux adultes. La part du logement dans le budget est la même entre un parent seul avec un enfant et un couple avec un enfant : dans les deux cas, il y a besoin a priori d’une seule chambre pour le ou les parents, et d’une autre chambre pour l’enfant. Les besoins de l’enfant évoluent en fonction de son âge : certaines dépenses diminuent (comme celles liées aux modes de garde et d’accueil) et d’autres augmentent (par exemple celles liées à la scolarité), mais le niveau de dépenses des familles n’augmente pas linéairement avec l’âge de l’enfant. En particulier, il ne se dessine pas clairement un seuil d’âge à partir duquel la présence d’un enfant diminuerait plus sensiblement le sentiment d’aisance financière.
Les familles monoparentales se sentent plus contraintes financièrement que les autres ménages
Tous revenus confondus, ce sont les familles monoparentales, quel que soit le nombre d’enfants, les couples avec trois enfants ou plus et les parents non hébergeant qui expriment le plus le sentiment d’être contraints vis-à-vis de leur situation financière (graphique). À autres caractéristiques comparables, une famille monoparentale a un sentiment d’aisance financière moindre que les autres ménages car certaines économies d’échelles ne sont pas possibles pour elles (besoin d’une chambre supplémentaire, notamment, quand la deuxième personne du ménage est un enfant). D’après les modélisations, les enfants en résidence principale ont un impact négatif plus important sur le niveau de vie ressenti des ménages. En revanche, l’impact négatif d’un enfant sur le sentiment d’aisance financière des parents non hébergeant semble limité, en particulier en présence d’un seul enfant : cet impact ne ressort significativement que s’il y a au moins deux enfants.
Graphique - Répartition des ménages selon leur réponse à la question suivante : « Concernant votre budget actuel, laquelle de ces propositions convient le mieux à votre cas ? »
Pour le calcul des échelles d’équivalence, l’étude suggère qu’il vaudrait mieux ne pas retenir de seuil d’âge pour les enfants, ou considérer aussi le seuil de 18 ans, et qu’il vaudrait mieux prendre en compte la situation particulière des familles monoparentales
Ces différents résultats conduisent à envisager d’autres hypothèses pour l’estimation des échelles d’équivalence. Tout d’abord, il apparaît plus pertinent de ne pas traiter l’enfant de moins de 14 ans différemment de celui de 14 ans ou plus. S’il faut choisir un seuil, celui de 18 ans paraît aujourd’hui également pertinent, d’autant plus qu’il correspond à la majorité et l’entrée éventuelle dans l’enseignement supérieur. Ensuite, il paraît important de prendre en compte la situation particulière des familles monoparentales, et ce, quel que soit le nombre d’enfants, pour traduire le coût d’une situation d’isolement. En effet, le surcoût estimé est particulièrement élevé à l’arrivée du premier enfant. De plus, il serait pertinent de tenir compte du temps passé par les enfants dans le ménage en distinguant, quand c’est possible, les cas de résidence principale, résidence alternée ou droit de visite et d’hébergement.
Les échelles fondées sur le sentiment d’aisance financière conduisent à un taux de pauvreté des familles monoparentales plus élevé que celui obtenu avec l’échelle de l’OCDE modifiée
Plusieurs échelles d’équivalence fondées sur le sentiment d’aisance financière sont estimées dans le Dossier pour tester la pertinence de ces nouvelles hypothèses. Tous les modèles testés mettent en avant un surcoût important lié à la monoparentalité, porté principalement par le premier enfant. Les résultats convergent vers un surcroît d’UC de l’ordre de 0,5 pour les familles monoparentales. Un tel surcroît d’UC pour les familles monoparentales conduirait à revoir à la hausse l’estimation de leur taux de pauvreté ; celui des parents non hébergeant est également affecté négativement. Bien que la valeur des échelles obtenues dépende des spécifications du modèle, les modèles testés convergent vers des taux de pauvreté des familles monoparentales égaux voire supérieurs à 50 %, soit environ 20 points de plus par rapport à celui mesuré avec l’échelle de l’OCDE modifiée.
Ainsi, la question d’une prise en compte du surcoût lié à la monoparentalité dans le calcul des échelles d’équivalence mériterait d’être examinée au niveau international. La monoparentalité est également répandue dans d’autres pays européens, notamment du Nord et de l’Ouest, et elle tend à progresser dans la plupart des pays. Toutefois, pour qu’une discussion de ce type s’engage, des travaux complémentaires sont encore nécessaires. En particulier, la robustesse des résultats ici présentés, assis sur des modélisations de l’aisance financière déclarée par les ménages, gagnerait à être éprouvée, en testant d’autres méthodes d’estimation, assises sur la part prise par tel ou tel poste de consommation (alimentation notamment) dans le budget de consommation des familles.