Les reformulations régulières de la question dans les différents millésimes d’une même enquête – et entre enquêtes – s’appuient sur des recommandations d’Eurostat ou sur des travaux montrant les limites de la question. Elles sont donc justifiées dans un objectif de mieux appréhender le phénomène, mais engendrent des ruptures de séries qui viennent brouiller la mesure des évolutions du renoncement aux soins dans le temps. Cette étude estime plus précisément l’effet des formulations sur les réponses en prolongeant les travaux de Legal et Vicard (2015). Ceux-ci révélaient que les taux peuvent varier de 15 points selon la formulation et alertent sur le fait que le suivi dans le temps n’est pas possible dès lors que, sur la période d’observation, la formulation de la question change. Les données permettent, néanmoins, pour une année donnée ou une période à formulation stable, d’établir des com-paraisons entre sous-populations ou entre type de soins.
Ces travaux, d’une part, présentent les niveaux de l’indicateur obtenu dans SRCV et dans l’enquête santé euro-péenne (EHIS, réalisée en collaboration par la DREES, l’Insee et l’Irdes), qui sont les deux grandes enquêtes en population générale traitant de cette question et, d’autre part, mettent en évidence les ruptures de séries en lien avec les changements de formulation.
Afin de tester l’effet des différentes formulations sur le taux de renoncement, le sujet a été introduit ponctuellement dans l’édition 2019 du Baromètre d’opinion. Quatre sous-échantillons (split sample) des personnes interrogées ont été constitués aléatoirement, avec une formulation différente de l’interrogation sur le renoncement aux soins dans chaque échantillon. Selon les échantillons, le taux de renoncement varie entre 7,7 % et 18,8 % (soit un rapport à de 1 à 2,4) soulignant l’extrême sensibilité de la mesure à la formulation de la question.
En outre, les effets de formulation sur le fait de déclarer avoir renoncé à au moins un soin ne sont pas les mêmes selon les caractéristiques individuelles. En effet, selon les groupes sociaux, l’impact d’un changement de formula-tion peut être plus ou moins marqué sur le fait de déclarer renoncer. Ainsi, le rapport entre le renoncement des 20 % les plus modestes et celui observé sur l’ensemble de la population varie entre 1,6 à 2,0 selon la formulation. Les écarts entre groupes sociaux ne sont pas affectés mais leur ampleur varie avec la formulation.
Les échantillons du Baromètre sont bien équilibrés sur les différentes caractéristiques sociodémographiques, néan-moins les effectifs croisés font ressortir des différences. Ces écarts de structure pourraient avoir des effets différents sur le fait de renoncer et donc sur les taux calculés sur chaque sous-échantillon, indépendamment de la formulation retenue. Ainsi, une analyse « toutes choses égales par ailleurs » montre que la formulation choisie peut influer la probabilité de déclarer avoir renoncé à des soins dans un rapport de 1 à 3,2.
Pour finir, la fourchette de taux provenant des différents sous-échantillons du Baromètre d’opinion (7,7 % et 18,8 %) est sensiblement au-dessus des taux estimés dans SRCV (entre 3,1 % et 4,4 %), pour des questions pourtant formulées de la même manière. Cela montre que, au-delà même des formulations choisies, l’ensemble du protocole d’enquête peut jouer sur la mesure.
En conclusion, le taux de renoncement ne doit pas être interprété en niveau. Il doit s’analyser en évolution ou en comparant des sous-populations entre elles. En outre, le suivi longitudinal du taux de renoncement doit se faire à formulation stable, mais aussi avec des enquêtes réalisées dans des conditions similaires. L’analyse des écarts entre sous-populations apparait également sensible à des changements de formulations, même si la hiérarchie des taux de renoncement ne semble pas affectée.